Farah, Golrokh Kiani et Farzaneh Rahmdani s’engagent dans la lutte pour les droits des femmes et la démocratie en Iran. Depuis Montréal, elles suivent de près le soulèvement populaire dans leur pays d’origine. Femmes, vie, liberté, le mouvement qui brasse toutes les couches sociales et qui a remué la diaspora iranienne, se poursuit malgré la répression.
A l’étranger, la résistance demeure pourtant éclatée et mal-organisée, observe Kiani, scientifique et membre du Réseau international d’universitaires iraniens.
« Il y a beaucoup de colère, on vit cette colère (très spontanée), ce qui est compréhensible, mais c’est très difficile à s’organiser ». Si on a l’impression que le règne des Mollahs tire à sa fin, Kiani pense qu’elles ne sont pas encore parvenues à canaliser les émotions, toujours vives, dans un mouvement politique efficace.
Pour sa part, Farah, qui parle sous couvert de l’anonymat, décrit une opposition tiraillée entre plusieurs factions aux objectifs ambigus. Il y a d’abord les partisans du Prince Reza Pahlavi, fils du Chah Mohammad Reza, détrôné après la révolution de 1979.
« Beaucoup d’Iraniens, parmi eux certains de mes amis, sont acquis à l’idée que c’était meilleur avant, sous le règne du Chah » dit la doctorante à l’Université McGill. La nostalgie pour l’ancienne monarchie s’explique par le désenchantement avec une révolution où l’on a fini par remplacer une dictature par une autre, encore pire, dit Farah.
« Pahlavi est complètement déconnecté du pays, des réalités quotidiennes que subissent les Iraniens aujourd’hui » dit la petite-fille d’un ancien partisan du Chah.
Dans la diaspora, il y a aussi des gens qui continuent à soutenir le gouvernement actuel. Mais c’est moins par conviction que par opportunisme, observe Rahmdani, chercheuse à l’Université du Québec à Montréal.
Farah et Kiani expriment une grande méfiance envers les organisations censées représenter la diaspora iranienne en Amérique du Nord, telle que le National Iranian-American Council.
Face à un régime qui a maîtrisé l’art de coopter l’opposition, « certaines d’entre elles ont fait le lit de l’État iranien … essayant de nous vendre une version de la réalité », dit Farah.
Ces derniers ont quand même exprimé leur soutien aux manifestants en Iran. En effet, le vent a changé de direction. « Les perceptions des gens envers le pouvoir en Iran commencent à changer » dit Kiani qui est convaincue que la plupart des Iraniens soutiennent, de façon plus ou moins discrète, le soulèvement populaire en cours.
Déchirures de l’histoire
Chacune d’elles tient, de près ou de loin, une ficelle qui la relie aux bouleversements de l’histoire iranienne.
Chez Farah il s’agit d’une histoire de famille. Elle est née l’année même de la Révolution iranienne de 1979.
« J’ai grandi en écoutant les récits qui circulaient dans la famille sur la monarchie, sur la guerre irako-iranienne et tout ce que les gens ont subi dans le sillage de la Révolution », dit-elle.
Les événements ont déchiré sa famille. Son grand-père était attaché militaire du Chah Mohammad Reza Pahlavi, détrôné après la révolution, tandis que son père, communiste, se retrouvait au camp opposé. « Il ressentait toujours une certaine amertume envers mon grand-père qui s’engageait aux côtes de l’ancien régime », dit Farah.
« Après la Révolution, mon père est tombé en dépression », à force d’assister au renversement de ses aspirations politiques, poursuit Farah qui avait trois ans lorsque les Mollahs ont consolidé leur pouvoir.
Comme toute révolution, celle de 1979 était une révolte hétéroclite où se rencontraient la gauche laïque et des mouvements à caractère islamiste. Or, l’alliance fragile ne tenait qu’au fil tendu de l’opposition à la monarchie, la seule revendication capable de rassembler des acteurs politiques aussi disparates.
Les femmes avaient milité, elles aussi, contre la dynastie Pahlavi, « dont le gouvernement était également dictateur et corrompu » poursuit Farah. Certaines mobilisaient même le voile en guise d’opposition au Chah. Mais si elles rêvaient de l’émancipation, de tels espoirs se voient enterrés suite à la prise du pouvoir de l’Ayatollah Ruhollâh Khomeyni.
Comme le père de Farah, celui de Kiani était aussi impliqué dans le parti communiste, Tudeh, dans la lutte pour un Iran laïque et socialiste. Aux yeux de la chercheuse, le mouvement demeure pourtant minoritaire. Globalement pacifique, la gauche « consiste d’une poignée d’intellectuels qui ne pose aucune menace au régime ».
La communauté internationale entre silence et cynisme
Les tensions au sein de l’opposition iranienne reflètent la fragmentation de longue date qui divise leur pays et la communauté iranienne à l’étranger. Et les intérêts étrangers qui cherchent à les instrumentaliser.
Pour Kiani, ce qui est le plus troublant c’est l’absence d’alternatives démocratiques au régime actuel. D’autant plus que la formation politique qui semble profiter de la plus grande visibilité auprès de ses interlocuteurs occidentaux, ce sont les Moudjahidines du Peuple iranien (MPI).
Bête noire du gouvernement iranien, ce groupe armé aux couleurs islamo-marxistes a fait l’objet d’assassinats ciblés même à l’étranger. Le mouvement est pourtant devenu, au fil des années , isolé et aux prises des bagarres internes sectaires.
Figurant, autrefois, sur la liste des terroristes des États-Unis et de l’Union européenne, les Moudjahidines ont profité d’une réhabilitation étonnante. Ces derniers temps, les portes paroles des MPI ont même été accueillis par des parlementaires canadiens, allemands et français. Leur présidente Maryam Rahjavi a été reçue en audience devant le parlement canadien en novembre pour parler de la révolte populaire actuelle.
« Les Moudjahidines n’ont guère une base populaire durable chez nous. La plupart des Iraniens que je connais n’accepteraient jamais d’être gouvernés par eux », avertit Kiani.
Elle redoute un scénario à la syrienne ou afghane. « L’Iran est déjà devenu, depuis longtemps, un épicentre du trafic d’armes et des drogues dans le marché noir » dit-elle. « Les grandes-puissances semblent vouloir profiter de cette instabilité : d’un pays faible et fragmenté ».
Si le gouvernement iranien nie toute possibilité de changement et opte pour la voie de la répression, la situation, déjà fort tendue, risque d’éclater en violence dans un conflit qui va s’éterniser.
« On a besoin que la communauté internationale comprenne ce qui se passe vraiment et respecte les aspirations des gens sur le terrain ».
C’est une sombre analyse qu’affirment d’autres observateurs pour qui la diplomatie américaine, notamment, semble se contenter de déstabiliser le pays, sans pour autant mettre de l’avant une alternative crédible, et véritablement démocratique, au régime islamiste en place.
Que peuvent espérer les femmes iraniennes ? L’issue pour le mouvement de résistance s’avère ambiguë.
Ce texte est le dernier de notre série sur le mouvement Femmes, vie, liberté. Consultez les deux premières parties ici et ici.
Note de la rédaction : Nous croyons que les citations et les exemples avec des noms réels ont plus de poids, donnent de la crédibilité au reportage et augmentent la confiance du public dans New Canadian Media. Cela dit, il arrive que les journalistes aient besoin de sources confidentielles pour servir l’intérêt public.
Christopher J Chanco
Chercheur et journaliste indépendant, Christopher travaillais pendant quelques années dans le milieu associatif à Manille avant de s’installer au Canada. Ses sujets de prédilection : l'actualité internationale, les questions migratoires, le développement international, les conflits interethniques et les droits de la personne. Il poursuit actuellement une maîtrise à l’Université de Montréal.