La génération 1.5, des immigrés livrés à eux-mêmes - New Canadian Media
Sabrina Zennia Rimel Mehleb et Bouchera Belhadj lors du lancement du podcast La génération 1.5
Sabrina Zennia, Rimel Mehleb, et Bouchera Belhadj lors du lancement du podcast La génération 1.5 le 12 juillet dernier. Photo : Abdelhak Aliche
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La génération 1.5, des immigrés livrés à eux-mêmes

Dans le podcast Génération 1.5, les enfants entraînés avec leurs parents jusqu’au Québec parlent de leur sentiment d’appartenance et leur identité.

« Le sentiment d’appartenance ne vient pas avec les papiers. On est citoyens, mais cela ne suffit pas », assène Sabrina Zennia, l’une des trois créatrices du balado Génération 1.5. Lancé le 12 juillet dernier, le podcast mêle une quinzaine de récits de personnes issues de cette génération à des entrevues avec des experts. Sur un fond sonore riche abordant l’exil, comme l’incontournable « Ya Rayah » de Rachid Taha, le balado aborde les difficultés et les questionnements identitaires de la génération 1.5.

Tel qu’on l’apprend dans le podcast, la génération 1.5 est cette jeunesse entre-deux, oubliée des études et des pouvoirs publics. Ils ont quitté leur pays avec leur famille pour s’installer au Canada, mais sans en avoir fait le choix. Leur jeunesse et le sacrifice de leurs parents pour leur offrir un meilleur avenir ne les immunise pas de souffrances et de défis. S’ils sont généralement tous citoyens canadiens sur papier, ils ne sont ni tout à fait chez eux, ni des nouveaux arrivants. Déracinée, la génération 1.5 regroupe ces « enfants qui ont migré sans en avoir fait le choix », comme le résument Rimel Mehleb, Bouchera Belhadj et Sabrina Zennia dans le premier de cinq épisodes du balado du même nom. 

Ce podcast vient d’abord de ces trois femmes, elles qui appartiennent aussi à la génération 1.5 et sont toutes les trois originaires d’Algérie. Elles désiraient « documenter », montrer la complexité derrière la migration et surtout parler d’une catégorie d’immigrants que l’on ne connaît pas et dont personne ne parle. « On voulait surtout ouvrir la conversation sur le sujet, au-delà de la honte, de la culpabilité et du secret que chacun de nous vit », explique Rimel. 

Les cinq épisodes abordent ainsi toutes les étapes de la migration de cette génération, de la préparation (ou l’absence de préparation) dans le pays d’origine au départ, en passant par les chocs et montagnes à affronter une fois arrivé, jusqu’à la quête identitaire et la recherche de la paix. 

Rupture

Situés entre deux pays et entre deux cultures, l’identité et le sentiment d’appartenance sont des thèmes majeurs dans la vie de la génération 1.5. Et ils sont très fortement impactés par les discours, les politiques et le climat social. Pour Sabrina Zennia, c’est le débat autour de la Charte des valeurs qui a tout changé dans son sentiment d’appartenance. Elle l’a vécu comme une « trahison ». 

La Charte des valeurs a été proposée par le Parti québécois lors des élections provinciales de 2012. Un événement qui s’inscrit dans un contexte de frustration et de débats sur l’identité du Québec et sa laïcité qui ont commencé en 2022 avec les crises des accommodements raisonnables, suivi par le rapport de la Commission Bouchard-Taylor. 

Ce texte propose que les personnes donnant ou recevant un service de l’État aient le visage découvert, que les fonctionnaires n’aient pas le droit de porter un signe religieux et que les symboles religieux soient limités dans l’espace public, à l’exception du crucifix à l’Assemblée nationale du Québec ou la croix sur le mont Royal. 

« Avant, j’avais l’envie naturelle de m’impliquer. J’ai manifesté en 2012, j’avais envie d’être impliquée dans cette société. Mais 2013 a été une vraie rupture. Et après, c’est allé de mal en pis dans la société », explique Sabrina Zennia à propos de ce que ressentent de nombreuses personnes immigrantes de la génération 1.5 ou autre.

Différence

Et puis en 2019, la Loi 21 est votée sous le bâillon par le gouvernement de la Coalition Avenir Québec. Une Loi sur la laïcité de l’État inspirée de la Charte des valeurs, mais qui interdit le port d’un signe religieux aux seuls employés de l’État et les oblige à exercer leurs fonctions à visage découvert. Une disposition qui vise spécifiquement les femmes voilées, selon les opposants à la loi. 

Les trois femmes et créatrices du balado expliquent que depuis 2013, leur différence leur est sans cesse rappelée, même à l’école ou au cégep. « Je suis allée voir la conseillère d’orientation. Je voulais être psychologue, mais elle me matraquait que j’allais faire une technique délinquance ! Je ne savais pas ce que c’était et je refusais, mais elle persistait », raconte Bouchera Belhadj, sidérée. 

L’Association d’études canadiennes a publié en août 2022 un sondage révélant que les personnes issues des communautés sikhe, musulmane et juive ont vu leur sentiment d’appartenance baisser depuis la Loi 21. Selon Statistique Canada, en 2021, les crimes haineux envers une religion ou une origine ethnique ont augmenté de 67 % et 6 % au Canada.

L’intégration à quel prix ?

« Il y a une volonté d’assimilation. On aimerait nous javelliser, que l’on ait l’accent québécois, que l’on adhère aux mêmes croyances », affirme Bouchera. « On a compris pourquoi on est ici, ce que la société veut de nous : soutenir l’économie », poursuit-elle. Un objectif régulièrement rappelé par le gouvernement canadien, comme en témoignent les derniers communiqués de presse annonçant de nouvelles mesures en immigration. À l’instar de leurs parents arrivés grâce à leurs diplômes et leurs expériences, les enfants de la génération 1.5 se sentent aussi perçus comme de la main-d’œuvre. 

Selon l’Institut du Québec, en 2016, la population immigrée était plus diplômée que la population québécoise. « Mais à quel prix ? », questionne Rimel Mehleb. Au prix d’une pression de leurs parents et d’eux même, de sacrifices, de choix qui ne sont pas tout à fait les siens, d’une chute dans la délinquance pour certains et d’une réduction de ses origines pour d’autres. « On ne m’a pas tenu la promesse du Canada. Je n’ai pas eu une meilleure vie », aurait dit un jeune à Mohamed Mimoun, intervenant jeunesse à Saint-Michel, dans l’épisode 3 du balado, à propos des frustrations et des discriminations. 

Face à ces difficultés et ces frustrations bâties sur des espoirs de vie meilleure, le podcast permet de commencer à combler le vide et le délaissement généralisé. « Cela a permis de créer un espace pour réfléchir au déracinement. Cela nous a apaisées tout en rendant notre indignation légitime », explique Bouchera Belhadj. En entamant la discussion, en visibilisant la génération 1.5, ce balado est surtout une ressource essentielle à cette population livrée à elle-même.

Génération 1.5 est à l’écoute sur toutes les plateformes de podcast.

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Journaliste indépendante, Marine a travaillé en France, au Liban et au Québec. Passionnée par les questions féministes, l’identité, l’intégration et les migrants, elle se plaît à défaire les clichés et décortiquer les clivages. Elle a pour ambition de combattre les injustices et les discriminations avec des mots et des solutions.

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