Lorsque Aboubacar Sadikh Kane décrit sa mission au sein de l’équipe de Médecins du monde, on n’imagine pas les nombreuses embûches que ce jeune homme souriant et enjoué a dû surmonter avant d’occuper le poste de pair migrant dans l’organisme. Faisant preuve de résilience et d’enthousiasme, le Sénégalais s’appuie aujourd’hui sur son expérience personnelle pour venir en aide aux personnes migrantes à statut précaire.
Enfant, M. Kane rêvait de devenir archéologue, mais son sens profond de l’altruisme l’a amené à emprunter un chemin bien différent. En 2010, alors qu’il était encore adolescent, au Sénégal, il a cofondé, avec sa sœur et des copains du lycée, l’Initiative pour le développement et l’entraide (IDEA), un organisme humanitaire ayant pour mission d’aider les populations défavorisées.
« On amassait de l’argent en organisant des soirées pour pouvoir offrir des consultations médicales gratuites aux gens qui en avaient besoin », raconte avec fierté le trentenaire originaire de Dakar.
Frôler l’expulsion du pays
Arrivé au Québec en tant que demandeur d’asile, M. Kane s’est retrouvé devant une menace imminente d’expulsion du pays en 2020, après avoir vu sa demande refusée par l’Immigration.
J’ai passé plus d’un mois au Centre de surveillance de l’immigration (CSI) à Laval. Durant la pandémie, les conditions de détention se sont détériorées. C’était flou, on n’avait pas d’information et on ne savait pas ce qui se passait. On était coupés du monde.
– Aboubacar Sadikh Kane, pair migrant chez Médecins du monde
Il se dit très reconnaissant de l’aide qu’il a obtenue de l’une des représentantes de l’organisme Solidarité sans frontières. « Elle nous rendait visite chaque semaine et nous apportait des produits dont nous avions besoin, comme des produits d’hygiène, entre autres. C’était très humain ».
M. Kane a été libéré sous condition à l’été 2021, après avoir entamé une grève de la faim aux côtés d’autres migrants détenus au CSI, afin de dénoncer les mauvaises conditions de vie et le manque de protection contre la COVID-19.
Mettre son vécu au service d’autrui
Le jeune altruiste se réjouit aujourd’hui d’avoir un permis de travail temporaire, lequel lui permet de se servir de son parcours pour venir en aide à d’autres immigrants en difficulté, aux côtés d’une équipe de médecins, infirmiers et infirmières, pharmaciens et pharmaciennes, travailleuses sociales, travailleurs de proximité et bénévoles chez Médecins du monde.
« Mon travail consiste à repérer des migrants à statut précaire dans la ville et les diriger vers les ressources alimentaires, vestimentaires, juridiques ou médicales dont ils ont besoin. On essaie de diminuer la peur et les barrières qui les maintiennent à l’écart du monde; c’est pourquoi un bagage expérientiel est demandé pour pouvoir exercer ce poste », explique-t-il.
Être pair migrant, c’est un travail merveilleux. C’est tellement satisfaisant de savoir qu’on fait la bonne chose.
– Aboubacar Sadikh Kane, originaire de Dakar, au Sénégal
Selon l’Institut universitaire Sherpa, environ 50 000 personnes vivant au Québec n’ont actuellement pas accès à une couverture d’assurance maladie en raison de leur statut migratoire. Il s’agirait notamment de travailleuses ou de travailleurs temporaires, d’étudiantes ou d’étudiants, de personnes ayant un visa de visiteur longue durée ou encore de personnes en attente d‘un parrainage, d’une réunification familiale, d’une demande humanitaire ou du renouvellement de leur statut migratoire.
Soutien en clinique
En 2011, Médecins du monde a ouvert une clinique destinée aux personnes migrantes à statut précaire qui ne sont pas couvertes par la Régie de l’assurance maladie du Québec ni par le Programme fédéral de santé intérimaire (PFSI), et qui ne possèdent pas d’assurance privée ni de moyens financiers pour accéder à des soins de santé.
D’après l’organisme, au cours de l’année 2021-2022, 1458 personnes se sont présentées pour une consultation à sa clinique «afin d’être accompagnées dans leurs démarches de santé».
M. Kane et deux autres collègues pairs migrants apportent actuellement leur aide à la clinique, qui offre des consultations d’ordre médical, social et juridique sans rendez-vous. Sur place, les migrants à statut précaire peuvent ainsi recevoir des soins primaires, faire renouveler leurs prescriptions ou être dirigés vers d’autres cliniques ou des hôpitaux afin de recevoir des soins spécialisés.
« On fait notre possible pour les mettre en contact avec des partenaires qui peuvent leur offrir des services médicaux gratuitement, mais sinon, on les accompagne lors de leur visite à l’hôpital pour nous assurer que leurs droits sont respectés et qu’ils comprennent bien le plan de paiement que l’hôpital leur propose », indique le résident de Parc-Extension.
Bien qu’elle soit destinée aux personnes en situation d’itinérance ou à risque de le devenir, la clinique mobile de Médecins du monde offre également ses services aux migrants à statut précaire qui s’y présentent. La présence ponctuelle de M. Kane peut donc aider à mieux orienter ces personnes vers des services adaptés.
Ayant à cœur de faire une différence dans la vie de gens qui traversent les difficultés qu’il a lui-même connues autrefois, il accompagne ainsi l’équipe d’infirmières et de bénévoles à bord du véhicule, afin de repérer une clientèle vulnérable aux quatre coins de la ville.
« Mon travail consiste aussi à offrir du réconfort aux gens qui sont dans la même situation que moi, ou pire. En voyant que je me débrouille, ils peuvent se dire que tout n’est pas perdu et qu’il faut continuer à se battre pour pouvoir y arriver eux aussi ».
Diplômée en administration des affaires (ITESM, Mexique), enquête et renseignement et journalisme (UdeM), Karla Meza débute sa carrière comme journaliste indépendante en 2019 s’intéressant davantage aux enjeux liés à la migration forcée et aux défis des communautés marginalisées au Canada, au Moyen-Orient et en Amérique latine. Passionnée du storytelling audiovisuel, elle a réalisé et produit un documentaire indépendant portant sur la situation des réfugiés syriens au Liban, ainsi que des courts vidéo-reportages dont un portant sur la résilience des femmes autochtones au Sud du Mexique. Karla Meza est journaliste au comité citoyen chez Métro Média.