Le Maroc est l’un des pays les plus stables et les plus riches d’Afrique. Selon un classement sorti en janvier 2023, le pays s’est classé premier en Afrique en matière de qualité de vie. Cependant, une jeune génération de Marocains se tourne vers le Canada pour réaliser leurs rêves personnels et professionnels. Certains de ces nouveaux arrivants ont fait part de leur expérience à New Canadian Media, certains préférant n’utiliser que leur prénom.
Hajar Khassime, 30 ans, a laissé derrière elle une vie confortable pour s’installer à Montréal en 2022, après un court passage à Toronto. Elle nous explique son choix de venir dans une région très éloignée du Maroc : «J’ai toujours été fascinée par le Canada grâce à des cousins qui venaient souvent ici au Canada durant les vacances. De plus, la procédure d’immigration au Canada n’est pas compliquée, et le pays octroie la nationalité facilement». Elle ajoute également que plusieurs facteurs l’ont poussé à faire ce choix : «La sécurité d’abord. Je suis quelqu’un qui adore marcher dans la rue, la nuit, quand tout est calme, chose que je ne peux pas faire dans d’autres pays».
«Ensuite, le respect des individus et de la vie individuelle des personnes. Côté professionnel, il n’y a aucun mal à dire que j’ai été recommandé, alors qu’ailleurs c’est très mal vu. Ici, si une personne te recommande c’est qu’elle croit en toi».
«Canadian dream»
Ayoub Halime, 29 ans, a lui, choisi, de s’installer dans la capitale fédérale, Ottawa, en février 2023. «Il existe énormément d’opportunités au Canada. C’est aussi un pays où on est capable de gravir les échelons rapidement, et qui nous garantit la sécurité matérielle et une certaine qualité de vie élevée. Avant, on parlait de l’American Dream. Aujourd’hui, il y a le Canadian Dream».
Pour lui, le froid et l’éloignement géographique du Maroc sont secondaires face aux avantages que représente la vie au Canada : «Je construis mon expérience sur ces défis», ajoute-t-il.
Selon le recensement de 2021 de Statistique Canada, il y avait environ 58 235 personnes qui ont déclaré être originaires du Maroc et vivre au Canada. La plupart d’eux résident en Ontario (environ 25 865 personnes), suivis du Québec (environ 19 055 personnes) et de la Colombie-Britannique (environ 5 985 personnes).
Il existe également des communautés marocaines significatives dans d’autres provinces, notamment en Alberta, au Manitoba et en Nouvelle-Écosse. Ces dernières années, l’immigration marocaine a connu un rebond significatif grâce au programme Entrée Express, conçu par le gouvernement fédéral pour attirer les travailleurs qualifiés du monde entier. Selon les données, le Maroc était l’un des principaux pays d’origine des demandeurs de résidence permanente qui ont été invités à présenter une demande dans le cadre du programme en 2020. Cette année-là, le Canada a invité 1 123 candidats marocains à présenter une demande de résidence permanente, malgré le contexte dans la pandémie.
Une intégration professionnelle difficile
Beaucoup choisissent de renoncer à leur niveau de vie confortable pour intégrer une société qui partage «leurs valeurs», selon leurs dires. Le Maroc est en effet l’un des pays les plus développés d’Afrique, et l’accès à l’éducation supérieure est abordable et ouvre la voie à des carrières professionnelles stables. D’après le classement de la Banque africaine de développement (BAD) des économies les plus industrialisées d’Afrique, le Maroc est second, derrière l’Afrique du Sud et devant l’Egypte. Par ailleurs, le Royaume compte sur son territoire 12 universités publiques, en plus de 198 établissements privés répartis entre universités et écoles.
Pourtant, un nombre croissant choisit de tout plaquer et s’installer au Canada, avec tous les challenges qu’ils risquent d’affronter en choisissant d’immigrer. Comme révélé par nos soins, un nombre important de nouveaux arrivants éprouvent des difficultés à réussir leur intégration professionnelle. En effet, une étude du Gouvernement du Canada en 2015 a trouvé «qu’en dépit de leurs qualifications, les immigrants qualifiés sont aux prises avec un sous-emploi endémique».
L’exemple du secteur de la santé est frappant : malgré la mise en place de programmes gouvernementaux et d’initiatives de soutien pour la reconnaissance de la formation et des compétences des diplômés étrangers, les professionnels de la santé formés hors Canada continuent de rencontrer de nombreuses embûches pour accéder au marché du travail.
En quête des valeurs humaines
Malgré ce contexte relativement hostile, les Marocains croient en leur chance de réussite au Canada, et restent motivés par leur envie de faire partie d’une société qui partagent leurs «valeurs».
C’est le cas de Yasmina, originaire de Casablanca, la métropole du Maroc, qui s’apprête bientôt à faire le grand voyage. «Le Canada est un pays qui te respecte en tant qu’humain et en tant que citoyen. Je sens qu’avec mon ambition et mon caractère, je peux percer au Canada. J’estime être douée, intelligente, mais je n’arrive pas à m’épanouir ici. Je viens d’un quartier très populaire où les rêves des gens sont très limités. Heureusement pour moi, je n’ai pas été impactée par cette mentalité. J’ai obtenu mon bac avec mention très bien, mais je n’ai pas pu poursuivre sur ma lancée, faute d’orientation», elle a dit sous couvert de l’anonymat.
Elle ajoute, non sans émotions, que le choix de tout laisser derrière elle est difficile, mais nécessaire pour son épanouissement personnel et professionnel : «Je suis convaincue de mon choix de partir au Canada et d’abandonner beaucoup de choses derrière moi. Je suis prête à m’adapter, à développer mon réseau, à lancer ma carrière professionnelle et personnelle. Le message que je veux faire parvenir : rien n’est impossible quand il y a une réelle volonté. Quand on fait des sacrifices, on atteint un certain but», conclut-elle.
Jihane est une jeune maman installée à Marrakech, la quatrième plus grande ville du Royaume avec sa fille et son mari de nationalité bulgare. Ils ont choisi de partir au Canada, alors qu’ils n’ont jamais été aussi confortables sur le plan financier. Jihane a accepté de répondre à nos questions sous couvert d’anonymat.
«Nous vivons à Marrakech depuis 2005 et franchement nous avons une vie de bonne qualité. Malgré tout, on se plaint au moins une fois par jour à cause d’un souci administratif, d’un souci dans la circulation… On essaye d’être de bons citoyens qui respectent les règles sociales, les autres, mais nous nous ne retrouvons pas ici», se désole-t-elle.
Tout comme Ayoub Halime, elle dit être impressionnée par le fait qu’au Canada, la compétence prime sur les apparences. Spécialisée dans le domaine des ressources humaines, elle s’est inspirée tout au long de ces études du système canadien, sans pour autant jamais mettre les pieds au Canada. Après son intégration dans le monde professionnel au Maroc, elle s’est rendue compte que la réalité est différente de tout ce qu’on lui a enseigné. «Tu es trop gentille pour ce métier. Reprends-toi ou change de domaine. Si les employés ne te détestent pas, c’est que tu ne peux pas contrôler», lui a déclaré son supérieur dès sa première expérience.
«Au Canada, la réalité s’approche plus de ce que je veux. Je veux retrouver les vraies valeurs humaines, être jugée sur la méritocratie», conclut-elle.
Note de la rédaction : Nous croyons que les citations et les exemples avec des noms réels ont plus de poids, donnent de la crédibilité au reportage et augmentent la confiance du public dans New Canadian Media. Cela dit, il arrive que les journalistes aient besoin de sources confidentielles pour servir l’intérêt public.
Mohamed Berrada
Mohamed est un journaliste francophone qui a récemment immigré du Maroc au Canada. Dans son pays d'origine, il a plus de huit ans d'expérience dans le journalisme et la communication. Il a commencé sa carrière comme journaliste de production à Medi1TV et Luxe Radio, avant de rejoindre le groupe OCP, leader mondial sur le marché des produits fertilisants phosphatés, en tant qu'attaché de presse international. Il a également travaillé à la rédaction de Telquel, le plus célèbre magazine imprimé du Maroc. Avant de venir au Canada, Mohamed a travaillé comme pigiste, notamment pour SNRTNews.com, le média numérique de l'État. Mohamed est diplômé en sciences politiques et en relations internationales et a étudié à l'EGE de Rabat (Maroc), à l'université Virginia Tech (États-Unis) et à l'IEP d'Aix-en-Provence (France).